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Au cœur d'une centrale en démantèlement

Arrêté depuis 1991, le réacteur nucléaire de Chooz (Ardennes) sera le premier à être totalement déconstruit, en 2020. Un test crucial pour EDF, dans un domaine où les risques sont élevés.

Par Audrey Garric

Publié le 05 mars 2012 à 12h26, modifié le 06 mars 2012 à 16h47

Temps de Lecture 8 min.

  • DIDIER MARC

  • Audrey Garric/Le Monde.fr

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De loin, impossible de rater les deux immenses tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Chooz (prononcer "chô"), dans les Ardennes, dont l'épaisse vapeur se fond dans la brume locale. Mais rien ne laisse supposer qu'un troisième réacteur est en cours de démantèlement sur l'autre rive de la Meuse, à 150 mètres sous roche. Et pourtant, la centrale de Chooz A, arrêtée en 1991, fait l'objet d'opérations de déconstruction depuis 1999 – tandis que Chooz B reste en activité. Avec une fin de chantier prévue pour 2020, elle sera la première des centrales en fin de vie à être déconstruite en France, parmi les neuf chantiers en cours (voir encadré). Un test crucial pour EDF, alors que la question du démantèlement est régulièrement épinglée parmi les risques de l'atome.

Situé à la frontière belge, Chooz A a été le premier réacteur à eau pressurisée – d'une puissance de 305 MW – mis en service au sein du parc nucléaire français, en 1967. Suivront 58 autres réacteurs, construits sur le même modèle. Mais s'il constitue un prototype, le réacteur des Ardennes possède néanmoins une particularité : celle d'être souterrain. Deux cavernes parallèles de trente mètres de hauteur abritent, à flanc de colline, la cuve du réacteur et ses quatre générateurs de vapeur pour l'une, et la piscine de refroidissement et les circuits de secours pour l'autre.

MANQUE DE PLACE

"L'inconvénient, c'est le manque de place : les opérations doivent être encore plus méthodiques, calculées et étudiées que pour d'autres réacteurs, souligne Stéphane Lelong, chef de structure déconstruction, qui a rejoint le site en 2010 après une carrière comme officier de marine. Mais il n'y a pas d'obstacle technique majeur au démantèlement d'une centrale."

Stéphane Lelong, chef de structure déconstruction de Chooz A.

Après la destruction de la salle des machines – bâtiment conventionnel comprenant la turbine et l'alternateur – entre 1999 et 2004, EDF s'est attaqué depuis 2010 au démantèlement électromécanique du circuit primaire, dans le bâtiment réacteur : dans les galeries et au cœur des cavernes, près de quatre-vingts sous-traitants d'Onet technologies, Areva et Westinghouse, encadrés par une vingtaine d'agents de l'électricien, s'activent quotidiennement pour déposer, découper et désinstaller des milliers de tuyaux, pompes, poutres ou vannes.

Point sensible de la phase actuelle : la dépose des quatre générateurs de vapeur, d'immenses composants de 15 mètres de long et 110 tonnes chacun. "La première tentative a été un échec, car on ne connaissait pas le centre de gravité précis du générateur afin de le lever et le basculer à la fois. Après avoir refait des calculs, notre outillage spécialement conçu pour cette opération a fonctionné. On a enlevé les deux premiers générateurs l'an dernier et le troisième au début du mois. Le quatrième sera déposé fin mai, détaille Stéphane Lelong. Au final, la moindre opération nous demande beaucoup plus de travail que dans une usine classique. Mais on prend le temps qu'il faut pour travailler en toute sécurité."

PROTECTION DES OUVRIERS

Car si la déconstruction d'une centrale relève de la pure mécanique, la radioactivité du site et les risques qu'elle entraîne en font un chantier spécifique et des plus délicats. "L'essentiel de la radioactivité du site (à savoir 99 %) a été éliminée lorsqu'on a déchargé le combustible, en 1995, pour l'envoyer à La Hague", rassure Stéphane Lelong. Malgré tout, la radioactivité peut atteindre des milliers de becquerels par centimètre cube, lors de la découpe du circuit primaire notamment.

Pour éviter une irradiation et une contamination supérieures aux seuils autorisés, les ouvriers sont soumis à un arsenal de mesures de précaution et de protection : équipement spécifique (blouses, charlottes, casques, dosimètres, trousses de secours, masques ou heaumes ventilés dans certains cas), temps de travail limité dans les zones contaminées, installation de tapis de plomb, de briques et d'eau pour faire écran et utilisation de robots pour les opérations les plus risquées.

Dans les zones les plus contaminées, des

Surtout, sur l'ensemble du site, l'air est en dépression, grâce à un système de sas et de ventilation qui évite aux particules radioactives de se propager à l'extérieur. Dans les zones les plus contaminées, des "systèmes de confinement dynamiques" sont en outre mis en place : ces sortes de sas constitués de bâches plastiques isolent les travailleurs et empêchent l'air de sortir dans le reste du chantier grâce à de gros tuyaux aspirants et des filtres qui emmagasinent les radioéléments.

EXPÉRIENCE ÉTRANGÈRE

"On profite des retours d'expériences de l'étranger, en faisant appel à des sous-traitants qui ont déjà développé les procédés ailleurs. Si le démantèlement d'une centrale est nouveau en France, ce n'est pas le cas dans le monde. Les Etats-Unis ont notamment déjà déconstruit une douzaine de réacteurs", précise Stéphane Lelong.

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"Chaque réacteur est unique, avec son histoire, ses avaries et ses contaminations propres, rétorque Roland Desbordes, président de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). Quoi qu'on en dise, EDF n'a pas d'expérience dans ce domaine. Or, le démantèlement, ce sont des mauvaises surprises à mesure qu'on avance. Et l'électricien ne s'est pas encore attaqué à l'étape la plus délicate, à savoir le démantèlement de la cuve du réacteur." Cette opération, effectivement cruciale, aura lieu à partir de 2014 ou 2015.

STOCKAGE DES DÉCHETS

Autre gros enjeu du chantier : le devenir des déchets nucléaires. Tout ce qui sort de la centrale doit en effet être acheminé vers des centres spécifiques, sous la forme de "colis" dûment contrôlés et répertoriés. "Sur les 36 000 tonnes de déchets que doit produire le site, 26 000 tonnes ne sont pas radioactives, car elles relèvent de structures extérieures, comme des bâtiments administratifs", explique Stéphane Lelong. Le reste, par contre, est traité en fonction du niveau de radioactivité : les 7 200 tonnes de déchets très faiblement radioactifs, comme des tuyaux ou des poutres, prennent la direction du centre de Morvilliers, tandis que les 2 800 tonnes de déchets faiblement et moyennement radioactifs à vie courte sont envoyés dans le centre de Soulaines.

Les déchets du chantier sont entreposés dans des colis envoyés dans différents centres de stockage.

Bien plus sensibles, les 30 tonnes de déchets moyennement radioactifs à vie longue, à savoir les éléments internes à la cuve du réacteur, n'ont pas encore de destination. A l'origine, ils devaient être entreposés sur le site de l'Iceda (Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés), centre temporaire que EDF a commencé à construire près de la centrale du Bugey, en attendant l'ouverture d'un centre de stockage profond par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Mais le chantier de l'Iceda a été stoppé début janvier, après une décision du tribunal administratif de Lyon annulant le permis de constuire pour non-conformité au plan local d'urbanisme.

"On est donc en train de démanteler une centrale, alors qu'on n'a pas de solution pour ses déchets les plus radioactifs", dénonce Roland Desbordes. La Criirad a par ailleurs déposé, avec six autres associations, un recours devant le Conseil d'Etat contre le projet.Et son président de justifier : "L'Iceda légalise une pratique illégale : l'entreposage de déchets mal conditionnés pour une durée indéterminée. Sans compter que le site se situe dans une zone inondable, menacé par une rupture du barrage de Vouglans, à 30 kilomètres en amont. […] Il aurait fallu attendre plus longtemps, quarante ou cinquante ans, avant de démanteler les centrales, afin de disposer de vraies solutions pour élimiter les déchets et de moins exposer les travailleurs à des débits de doses importants."

DÉMANTÈLEMENT IMMÉDIAT

Laisser du temps au temps, c'était la stratégie initiale d'EDF. En 1995, l'électricien déclare la mise à l'arrêt définitive du réacteur, après avoir envoyé le combustible à l'usine de retraitement de La Hague. L'idée était alors de laisser le site sous surveillance et attendre que la radioactivité décroisse de manière naturelle. Mais en 2001, changement de cap : le groupe opte pour une stratégie de démantèlement immédiat des centrales, notamment pour permettre une transmission de la mémoire.

Lire l'entretien : "EDF a adopté une stratégie de démantèlement complet et immédiat"

"On sait garder la mémoire si on le veut, estime Roland Desbordes. En réalité, EDF et ses partenaires, comme Areva, sont passés à la vitesse supérieure car ils se sont aperçus qu'il y avait un énorme marché mondial du démantèlement. Et pour se positionner sur ce marché, ils doivent montrer qu'ils savent déconstruire des réacteurs de puissance."

Lire le cadrage : "Le démantèlement nucléaire, un marché prometteur"

Le processus se révèle malgré tout long. Le site n'a ainsi obtenu le décret d'autorisation pour procéder à la déconstruction interne qu'en 2007. "A chaque étape, il faut redéposer des dossiers et attendre le feu vert de l'Autorité de sûreté nucléaire [le gendarme nucléaire], note Stéphane Lelong. Mais c'est la garantie que nous ne faisons pas n'importe quoi. Et maintenant que nous avons un peu essuyé les plâtres avec la mise en route du démantèlement, la suite sera plus rapide et plus simple, car nous déposons les demandes d'autorisation en parallèle de la poursuite du chantier."

Le calendrier, s'il est tenu, prévoit la fin du démantèlement électromécanique en 2016, et l'assainissement du génie civil, pour enlever toute trace de radioactivité, jusqu'en 2020. Avec un objectif : obtenir le déclassement du site nucléaire en site civil. Chooz serait alors le premier réacteur totalement démantelé.

LE COÛT EN QUESTION

Ce "retour à l'herbe", comme on l'appelle dans le secteur, coûte cher à EDF. L'électricien a ainsi provisionné 2 milliards d'euros pour la déconstruction en cours des neuf réacteurs – sans toutefois donner de détail pour chacun.

Un chiffre sous-estimé selon certains experts. "La Cour des comptes elle-même assure, dans son dernier rapport [PDF], que dans ses provisions EDF ne prend pas suffisamment en compte les aléas et les incertitudes de la déconstruction et devrait prévoir des fourchettes plus larges", rappelle Charlotte Mijeon, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. "EDF a sans cesse réévalué son estimation, ajoute Roland Desbordes, et elle se situe encore dans la fourchette basse par rapport à nos voisins européens : l'Allemagne ou l'Angleterre tablent par exemple sur des coûts cinq fois supérieurs. Le retour à l'herbe me paraît encore très hypothétique."

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