UNE CENTRALE À LA MER

Renouvelable mais inexploitée, l'énergie thermique des mers utilise l'écart de température entre l'eau de surface et l'eau profonde pour produire de l'électricité. Des unités pilotes sont annoncées pour 2013, préfigurant des centrales offshore de 50 à 100 MW.
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UNE CENTRALE À LA MER
Lockheed Martin et Makai installeront leur unité pilote au large d'Hawaii.

Gigantesque collecteur et réservoir naturel d'énergie, la mer couvre 70 % de la surface du globe, et absorbe chaque jour l'énergie solaire. Récupérer ne serait-ce que 1 % de cette énergie suffirait à couvrir 20 fois la consommation d'électricité des États-Unis, selon une estimation du National Renewable Energy Laboratory. Le principe est connu depuis le XIXe siècle : la différence de température entre la surface et les eaux profondes permet d'extraire de la chaleur pour vaporiser un fluide, afin de faire tourner un alternateur et de produire de l'électricité (voir schéma). Pour autant, il a fallu attendre les années 1970-1980 pour réaliser les premières démonstrations concluantes, à petite échelle. La fin annoncée des énergies fossiles a relancé l'intérêt pour cette technologie. L'exploitation de l'énergie thermique des mers (ETM) entre désormais en phase industrielle.

Des unités pilotes de 10 MW sont annoncées dès 2013 ou 2014. Elles seront suivies par de véritables usines de production d'ETM de 50 et 100 MW, installées « offshore », près de côtes qui bénéficient à la fois d'eau de surface chaude, et d'eau froide à 1 000 mètres de profondeur. Dans le cadre de sa diversification dans les énergies marines, le français DCNS étudie trois projets ETM, en Martinique, à La Réunion et à Tahiti. De son côté, avec son partenaire Makai Ocean Engineering, l'américain Lockheed Martin a fait de Hawaii son site d'expérimentation privilégié. Tous ont les mêmes objectifs : produire de l'électricité à un prix viable et assurer une durée de vie suffisante aux usines ETM.

Pour DCNS, les choses sérieuses vont commencer l'été prochain, avec l'envoi à La Réunion d'un banc d'essais, qui doit permettre de mieux connaître le procédé et de tester des équipements, notamment différents types d'échangeurs. Le dispositif basé à terre est modeste (moins de 50 kW), mais il sera la dernière étape avant la première usine pilote offshore. « Cette usine de 10 MW sera sans doute installée en Martinique où, en raison d'un écart de température eau chaude-eau froide plus important, le coût de l'électricité produite sera inférieur de 25 % », indique Frédéric Le Lidec, le directeur de l'incubateur sur les énergies marines renouvelables chez DCNS.

Seulement 20 °C d'écart

C'est au large de l'île d'Oahu (Hawaii) que Lockheed Martin et akai installeront leur unité pilote. Mais en attendant, c'est sur la « Big Island » de l'archipel que vient tout juste d'être achevée la construction d'une installation de test d'échangeurs thermiques pour l'ETM. Une tour de 12 mètres de haut comprenant le circuit du fluide de travail (l'ammoniac, dont la vapeur fait tourner la turbine), et alimentée en eau de mer froide puisée jusqu'à 900 mètres de profondeur. « Cet équipement permet d'effectuer des tests de corrosion et de performances sur différents modules d'échangeurs. Leur conception a en effet un impact majeur sur le coût d'investissement et sur le coût de production de l'électricité », souligne Joe Van Ryzin, le président de Makai Ocean Engineering.

Choix des matériaux (titane, aluminium, acier, graphite...), définition de la géométrie : « il y a beaucoup à faire », résume Frédéric Le Lidec. Les échangeurs industriels existants sont en effet conçus pour des écarts de température de 60 ou 70 °C entre les sources chaude et froide. Or, pour l'ETM, il va falloir se contenter des 20 °C seulement qui séparent les eaux de surface des eaux profondes. « En raison du faible écart de température, le dépôt de biosalissures a un impact négatif immédiat sur les échanges thermiques », relève Michel Paillard, le chef de projet Énergies marines renouvelables à l'Ifremer, qui a une forte expertise sur les matériaux en milieu marin.

La pression des grands fonds

Les propriétés thermodynamiques du fluide de travail sont elles aussi déterminantes pour les performances du procédé. Si Makai et Lockheed Martin semblent s'être décidés pour l'ammoniac, DCNS étudie une autre option, un fluide organique qui aurait l'avantage de mieux valoriser le faible écart de température imposé par l'ETM. Globalement, le travail d'optimisation du process devrait permettre d'atteindre un coût de production de l'électricité de 200 à 300 euros/MWh. C'est l'objectif fixé pour les premières centrales de série, qui devront être compétitives avec les moyens actuels de production d'électricité dans les îles, à partir de charbon ou de fuel.

Pendant que les ingénieurs de procédé se battent pour gagner quelques points de rendement, d'autres se préoccupent de la pérennité de l'usine de production d'énergie. Comment faire en sorte que l'installation, soumise à l'eau de mer, à la houle tropicale, aux courants marins, aux ouragans... soit encore là dans 25 ans. Des leçons sont tirées de l'offshore pétrolier, en particulier les technologies d'ancrage des plates-formes. Mais une conduite d'eau froide de 1 000 mètres de long, et dont le diamètre, pour une centrale de 100 MW, atteindra 10 mètres, c'est du jamais-vu. Et là, les solutions pétrolières sont hors course : « Avec les technologies actuelles, la conduite coûterait 300 millions d'euros ! Il faut diviser ce chiffre par dix », explique-t-on chez DCNS. Pour faire sauter ce verrou, Lockheed Martin a mis au point une tuyauterie en matériau composite (fibre de verre), conçue pour résister aux pressions des grandes profondeurs. Elle sera fabriquée, par segments de 11 mètres, directement sur la plate-forme flottante ETM. L'assemblage est réalisé à l'aide d'un système de préhension situé en dessous, dont une version à échelle réduite a déjà été testée. Les français, en revanche, estiment que cette solution restera trop chère. DCNS, associé à Total et l'Ifremer au sein du projet Espadon, s'oriente vers une conduite en matériau « souple », fabriquée par segments en Métropole et acheminée par containers.

D'autres questions méritent réflexion : comment se comportera l'interface entre la plate-forme et une tuyauterie de plusieurs mètres de diamètre ? Même problème pour le câble chargé de transmettre vers la terre l'électricité produite à partir d'une centrale flottante. Quant au système d'ancrage, il pourrait poser des difficultés pour les plus grandes plates-formes. C'est d'ailleurs la raison invoquée par DCNS pour se limiter, aujourd'hui, à des projets de 50 MW.

Mobilisés par ces défis technologiques, les promoteurs de l'ETM n'ont pas négligé pour autant le volet environnemental. Quand on s'apprête à pomper et rejeter des centaines de mètres cubes par seconde d'eau chaude et froide, mieux vaut étudier l'impact sur l'écosystème. Chez Makai comme à l'Ifremer, des modèles numériques simulent la diffusion des panaches, lors des rejets d'eau à différentes profondeurs. Le calcul doit tenir compte de la configuration de chaque site. « Les premiers résultats pour le site d'Oahu nous ont permis de concevoir un système de rejet qui limite les risques environnementaux », affirme Joe Van Ryzin. Ces études ont démarré très en amont : de leurs résultats dépend l'acceptabilité des projets.

VOUS ÊTES CONCERNÉS

Les pétroliers offshore, qui pourront réutiliser les technologies développées pour des conduites de grandes tailles. Les industries de process, qui bénéficieront des progrès réalisés dans les échangeurs thermiques.

100 PAYS SUR LES RANGS

Un site potentiel pour l'ETM doit disposer d'eau chaude en surface et d'un accès proche à l'eau froide profonde. Les premières installations, des centrales de 10 MW, sont destinées à des sites isolés et des îles en zone tropicale. Des centrales de 50 MW et 100 MW pourront équiper des zones côtières en Inde, au Brésil, en Australie, à Singapour... Au total, une centaine de pays pourraient en bénéficier.

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