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Pourquoi la finance s’intéresse de très près à la « blockchain »

Beaucoup voient dans cette technologie apparue en 2008 le ferment d’une révolution susceptible de bouleverser la profession bancaire. Voire de la faire disparaître... Les grands acteurs du secteur organisent déjà la résistance.

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Pour s’assurer que le processus d’authentification est vierge de toute manipulation, le système repose sur deux éléments fondamentaux : le bitcoin (monnaie virtuelle qui rémunère les mineurs pour leur travail), et le caractère aléatoire de ce mécanisme de récompense.

Par Ninon Renaud

Publié le 23 mars 2016 à 17:21

« Blockchain ». Le néologisme est devenu incontournable dans les conversations des grands stratèges de la finance mondiale. Beaucoup détectent dans cette technologie apparue en 2008 le ferment d’une révolution à venir de leur métier, sans toutefois parvenir encore à en saisir toutes les dimensions. Un tweet récent résume avec humour le défi : une minividéo filme un homme qui s’approche d’une flaque d’eau, saute à pieds joints dedans... et disparaît, englouti ! « Quand vous commencez à vous intéresser à la blockchain »,commente l’auteur. « La technologie a pris de l’avance sur la recherche académique. Du MIT à Princeton, en passant par l’Imperial College London, des milliards sont investis aujourd’hui pour en prendre toute la mesure », explique Cyril Grunspan, normalien, responsable de la majeure ingénierie financière de l’Ecole supérieure d’ingénieurs Léonard de Vinci (Esilv).

Mais comment marche au juste cette fameuse « blockchain » ? Il faut se la représenter comme un grand registre de transactions ouvert accessible sur Internet, qui utilise un protocole de pair à pair pour authentifier toute opération réalisée entre deux personnes. Il permet ainsi de transférer des actifs quels qu’ils soient d’un acteur à un autre, sans qu’il soit besoin d’un tiers de confiance au centre du système. De là à penser que la « blockchain » annonce un monde sans banque, il n’y a qu’un pas que la branche historique de ses promoteurs franchit allégrement.

Solidité et fiabilité

De fait, ce registre conçu en 2008 par le mystérieux Satoshi Nakamoto a une propriété essentielle : pensé en pleine période de défiance à l’égard du secteur bancaire et des autorités de régulation, il résiste à toute censure et ne peut être altéré. Sa solidité et sa fiabilité sont assurées par les « mineurs » : des milliers de serveurs informatiques, détenus par des individus et surtout des entreprises, qui sont répartis sur le globe et dont la puissance de calcul permet de tenir à jour le registre. En pratique, chaque fois qu’une nouvelle transaction est envoyée dans le réseau, elle rejoint un petit bloc d’opérations nouvelles, dont l’authentification va nécessiter la résolution d’une énigme mathématique qui prend près de dix minutes. Une fois qu’un mineur l’a décryptée, ce bloc vient s’ajouter à la chaîne des autres blocs déjà authentifiés : la « blockchain ».

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En réalité, le tiers de confiance n’a pas disparu, c’est le mode opératoire de la régulation qui se trouve bouleversé. Pour s’assurer que le processus d’authentification est vierge de toute manipulation, le système repose en effet sur deux éléments fondamentaux. Le premier est le bitcoin, la monnaie virtuelle qui rémunère les mineurs pour leur travail, soit jusqu’à présent 25 bitcoins par bloc décrypté. Le deuxième est le caractère aléatoire de ce mécanisme de récompense : l'énigme à résoudre diffère selon chaque mineur et il n’existe pas de stratégie gagnante. Pour trouver la solution, il faut donc tester toutes les combinaisons de chiffres. Cette loterie d’un nouveau genre interdit ainsi à tout acteur, quelle que soit la puissance de calcul à sa disposition, d’altérer le système à l’insu des autres.

C’est ce mode opératoire que les banques tentent de s’approprier aujourd’hui. L’initiative la plus médiatique est celle d’une quarantaine de banques (JP Morgan, Goldman Sachs, Barclays, Société Générale, BNP Paribas, etc.) qui se sont regroupées derrière la start-up new-yorkaise R3. L’objectif est de développer des applications commerciales basées sur la « blockchain », mais sans tout le processus de minage, qui se révèle coûteux en énergie et limite considérablement les capacités de traitement du réseau, puisque chaque bloc est limité en taille et demande un délai d’authentification. Mais les banques sont d’autant plus intéressées que la « blockchain » promet d’importantes économies. Selon un rapport de Santander, elle permettrait d’économiser de 15 à 20 milliards de dollars par an d’ici à 2022 en coûts d’infrastructures liés aux paiements internationaux, au trading et à la mise en conformité. Mais « cette démarche consiste à créer une “blockchain” privée basée sur la sélection à l’entrée des membres, qui se font confiance entre eux. Cela revient à recréer une base de données distribuée, un système d’information amélioré pour résoudre des problèmes de back-office. Les enjeux sont plus sur des améliorations de marge que sur de la disruption du concept de banque », analyse Eric Larchevêque, cofondateur de la Maison du Bitcoin. Selon lui, « la “blockchain” c’est l’innovation sans la permission, elle va de pair avec le bitcoin qui assure son caractère inaltérable ».

Philosophie libertaire

Problème : le monde de la finance s’accommode mal de cette philosophie libertaire... « Les Etats et les régulateurs ont des attentes très spécifiques vis-à-vis de la fonction de tiers de confiance, notamment en termes de transparence et de connaissance des clients finaux, souligne Nicolas Lioliakis, associé en charge de la practice des services financiers chez AT Kearney. Toute la beauté de la base de données décentralisée et librement abondable pour une bonne part disparaît dès qu’on touche à la matière financière ».

Cela étant, la solidité qu’a démontrée la « blockchain » ces sept dernières années a de quoi faire réfléchir. Beaucoup comparent la technologie au protocole TCP/IP pour le transfert des données sur Internet à ses débuts. Qui aurait cru que ce nouveau monde à l’odeur de soufre donnerait naissance aux géants que sont Google, Amazon, Facebook et Apple ? « Il ne faut préjuger de rien et explorer sans a priori tous les cas d’usage, quitte à s’arrêter dès qu’on détecte des impasses », préconise Philippe Dewost, directeur adjoint de la mission Programme d’investissement d’avenir, chargé de l’économie numérique à la Caisse des Dépôts. C’est la tâche à laquelle s’est attelée l’institution financière, chargée d’une initiative de place sur la « blockchain » depuis la fin de l’année dernière. Une bonne méthode pour ne pas se noyer ni jeter le bébé avec l’eau du bain.

Ninon Renaud (Chef du service Finance)

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