Erreurs médicales : «Il faut faire tomber l'omerta»

En France, le nombre d’erreurs médicales reste largement sous-évalué. Les associations montent au créneau. Interview de Claude Rambaud, vice-présidente de l'association Le Lien, qui accompagne les malades.

Claude Rambaud, vice-présidente de l'association Le Lien, estime que le nombre de morts liées aux erreurs médicales approchent les 60 000 décès par an. 
Claude Rambaud, vice-présidente de l'association Le Lien, estime que le nombre de morts liées aux erreurs médicales approchent les 60 000 décès par an.  DR

    Claude Rambaud a publié « Trop soigner rend malade », en 2016, où elle évalue le nombre d'erreurs médicales. Un travail qu'elle a mené en croisant des dizaines d'enquêtes et qui a reçu, le mois dernier, le prix de la revue « Prescrire ».

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    Peut-on évaluer le nombre de morts liées aux erreurs médicales ?
    Claude Rambaud. Les données sont rares et floues mais, d'après mes estimations, on approche les 60 000 décès par an. Selon l'Organisation mondiale de la santé, un patient hospitalisé sur 300 décède d'un accident médical. Cette étude a été réalisée dans sept pays développés comme les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni. Or, en France, en 2016, 13 millions de personnes ont été hospitalisées, ce qui fait 43 000 morts par an. Il faut rajouter un autre chiffre : 18 000 personnes, issues de la médecine de ville, décéderaient chaque année, victime d'une erreur médicamenteuse selon un rapport du Sénat. Il s'agit de traitements inappropriés, mal dosés, mal suivis par les médecins. On arrive donc à peu près à 61 000 morts chaque année. C'est 20 fois plus que les accidents de la route et, selon mes calculs, cela pourrait être la 3e cause de mortalité dans notre pays.

    Comment expliquer l'absence de chiffres officiels ?
    Il n'y a aucune volonté politique. C'est un sujet tabou. Quand je dis qu'il y a 60 000 morts, aucune société savante ne monte au créneau pour affiner ce chiffre ou le remettre en question. Mon but n'est pas d'accuser les médecins ni de chercher des coupables. On veut seulement mieux combattre ce problème. Si on ne s'était pas penché sur le nombre de morts sur la route, aurait-on pu le diviser par 6 alors que le trafic a été multiplié par deux ?

    Quelles seraient les solutions ?
    On attend depuis dix ans un dossier médical partagé, commun à tous les spécialistes. Tout serait tracé lorsqu'un patient verrait son généraliste, un gynécologue puis un oncologue, ce qui éviterait des erreurs. On connaîtrait ses antécédents, ses allergies, les opérations subies. On aimerait aussi qu'une application soit mise en place, avec les traitements et les résultats d'examen de chacun. Aux Etats-Unis, plus de 100 millions d'Américains l'ont téléchargée. C'est une avancée extraordinaire. Enfin, on voudrait que chaque hôpital et clinique répertorie son nombre de morts par spécialité, par exemple en chirurgie de l'oesophage. Cela permettrait de faire des comparaisons. Pourquoi meurt-on ici plus qu'ailleurs ? Est-ce parce que cet hôpital accueille davantage de patients difficiles ? Il faut ouvrir le débat, faire tomber l'omerta.

    A quoi sont dues ces erreurs ?
    La fatigue, le surmenage, le manque de personnel jouent un rôle important alors même que la médecine est terriblement complexe. La plupart du temps, les bonnes pratiques comme la check-list au bloc opératoire ne sont pas respectées. Beaucoup de traitements sont aussi reconduits à l'aveugle. La rupture des tâches, lorsqu'on est dérangé, est une cause majeure. C'est pour cela que les patients doivent être attentifs et ne pas hésiter à observer, interroger les médecins s'ils ont un doute. On veut leur dire : ouvrez l'oeil !

    QUESTION DU JOUR. Craignez-vous les erreurs médicales?