Le combat de Jean-Claude, malade du cancer, contre Monsanto et le glyphosate

Jean-Claude Terlet, agriculteur près de Soissons, a assigné en justice Monsanto qu’il juge responsable de son cancer de la prostate. Pour lui, la victoire judiciaire d’un jardinier californien contre le géant des produits phytosanitaires soulève un formidable espoir.

 Jean-claude Terlet a vu son cancer de la prostate, diagnostiqué il y a deux ans, reconnu comme maladie professionnelle, et subira une expertise médicale en septembre.
Jean-claude Terlet a vu son cancer de la prostate, diagnostiqué il y a deux ans, reconnu comme maladie professionnelle, et subira une expertise médicale en septembre. FRANCE 3

    Ce samedi, Jean-Claude Terlet, 71 ans, s'est levé avant l'aube pour aller vendre ses cageots de fraises comme chaque semaine au marché de Saint-Quentin (Aisne). Plus de 40 ans qu'il les cultive, dans les 12 000m² de serres de son exploitation. Il n'en savait rien encore, pendant qu'il avalait les 70 km du trajet : à l'autre bout du monde, à San Francisco (Californie), venait de tomber un verdict historique pour les opposants aux pesticides, et porteur d'un fol espoir pour lui.

    Pour la première fois, un tribunal américain a reconnu un lien de cause à effet entre l'utilisation de l'herbicide Roundup, du géant de l'agrochimie Monsanto, et un cas de cancer, celui de Dewayne Johnson, un jardinier de 46 ans, en phase terminale d'un lymphome déclaré en 2014. Le jury, considérant que la multinationale récemment rachetée par Bayer avait agi avec « malveillance », l'a condamnée à 289 millions de dollars de dommages. Monsanto a immédiatement annoncé son intention de faire appel.

    « Ça pourrait être moi, dans quelques années », soupèse Jean-Claude Terlet, en pensant au jardinier californien. Le Picard aussi a décidé de poursuivre en justice Monsanto, qu'il juge responsable de son cancer de la prostate, diagnostiqué il y a deux ans. Sa plainte, introduite l'an dernier devant le tribunal de Lyon, est en cours d'examen.

    750 litres de glyphosate pendant 40 ans

    « Depuis le début de ma carrière en 1978, j'ai calculé que j'ai répandu 750 litres de glyphosate (NDLR : le principe actif du Roundup) », affirme Jean-Claude Terlet, qui ne pensait l'herbicide toxique que « pour les poissons et l'eau ». « En 2016, on m'a trouvé des nodules sur la prostate. Et dans mes urines, j'avais un taux extraordinaire de glyphosate », poursuit l'agriculteur, intimement convaincu du lien entre son activité et sa maladie, la même qui a emporté avant lui tant d'hommes de son entourage, tous agriculteurs : son père, son beau-père et ses deux oncles.

    Jean-Claude Terlet et son avocat, Emmanuel Ludot, pensent avoir emporté une première manche dans leur bataille juridique : une expertise est programmée pour septembre, au sujet de la santé du plaignant picard. Son cancer a déjà été reconnu par sa mutuelle comme maladie professionnelle.

    « Pas de danger » selon Bayer

    Ce samedi, le chimiste Bayer a « tenu à exprimer sa plus grande compassion envers Dewayne Johnson ». Son espérance de vie n'excède pas deux ans, selon ses médecins. « Bayer est toutefois convaincu que le glyphosate ne présente pas de danger pour la santé humaine lorsqu'il est utilisé conformément aux usages, comme c'est le cas pour des millions d'agriculteurs en France qui reconnaissent sa grande utilité pour la protection des cultures », ajoute le groupe.

    A l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), qui regroupe les principales firmes agrochimiques présentes en France, on ne croit guère officiellement à un possible effet domino du procès Johnson. « Nous avons confiance dans les agences réglementaires françaises et européennes, qui ont toujours maintenu depuis 1974 l'autorisation du glyphosate pour l'agriculture », assure Delphine Guey, la directrice des affaires publiques de l'UIPP.

    Chez les partisans d'une interdiction des produits phytosanitaires, on veut croire au contraire que le procès bousculera opinions et responsables politiques. « Ce verdict va forcément rouvrir le débat », estime l'avocat en droit de l'environnement, Arnaud Gossement. Quant à d'autres condamnations de Monsanto au bénéfice de particuliers ? « Elles sont possibles, d'autant qu'il existe des plaintes innombrables à travers le monde, mais cela risque de prendre énormément de temps. »

    Bernac (Charente), octobre 2017. Paul François, céréalier, a attaqué Monsanto en justice et se prépare à une nouvelle audience en appel. LP/Fabien Paillot
    Bernac (Charente), octobre 2017. Paul François, céréalier, a attaqué Monsanto en justice et se prépare à une nouvelle audience en appel. LP/Fabien Paillot FRANCE 3

    Jean-Claude Terlet, lui, dit qu'il a tout le sien et qu'il ne « lâchera pas le morceau ». Paul François, un céréalier charentais en guerre depuis 12 ans contre Monsanto, attend lui aussi que son tour vienne, à propos d'un autre produit commercialisé par le chimiste, le Lasso. Après deux victoires cassées en Cour de cassation, il se prépare à une nouvelle audience en appel, en janvier. Il a souri en voyant s'afficher sur son portable la notification de la victoire du jardinier Johnson. Puis toute la journée, il a reçu des messages d'amis, tous du même style : « Continues, on est avec toi. »

    SÉGOLÈNE ROYAL ESPÈRE « UN ÉLECTROCHOC »

    Ségolène Royal. LP/Jean Nicholas Guillo
    Ségolène Royal. LP/Jean Nicholas Guillo FRANCE 3

    Ségolène Royal, était entrée en guerre contre le glyphosate, quand elle était ministre de l'Environnement (2014-2017). Elle avait réussi à en faire réduire l'usage, en 2015, mais pas à le faire interdire. Elle espère que le retentissant procès Johnson permettra de rouvrir le débat.

    Le verdict du tribunal californien qui a condamné vendredi Monsanto à verser 289 M$ à un jardinier malade d'un cancer aura-t-il des répercussions en France ?

    SÉGOLÈNE ROYAL. Cette décision aura un impact mondial. Elle est importante par l'ampleur de la condamnation, mais aussi parce que le tribunal affirme clairement que Monsanto savait et a caché la cancéréogénéité du glyphosate. Cela revient à étendre le principe de pollueur-payeur au domaine de la santé. Ceux qui gagnent de l'argent sur le dos de la santé publique vont être obligés de changer. C'est une excellente chose.

    Pensez-vous que le glyphosate sera un jour totalement interdit en France ?

    Quand j'étais ministre, je me suis heurtée aux lobbies très fortement mais nous avons déjà acté l'interdiction des pesticides dans les jardins publics et les écoles, ainsi qu'une réglementation qui dissuade son usage pour les particuliers. Mais il reste utilisé massivement en agriculture. J'espère qu'un électrochoc va avoir lieu, qui incitera les décideurs politiques à plus de courage qu'actuellement.

    La France seule peut-elle voter une interdiction, alors que l'autorisation d'utiliser le glyphosate a été reconduite pour cinq ans par l'Union européenne ?

    Si la France vote l'interdiction, cela forcera l'Europe à prendre ses responsabilités. Elle doit reprendre le leadership sur ce sujet.

    Est-il possible pour les agriculteurs de se passer du glyphosate ?

    Bien sûr, il le faut. D'autres produits existent, et la recherche est là pour trouver des solutions. Mais tant qu'on ne sanctionnera pas les pollueurs, on n'incitera pas les industries vertueuses à développer des produits respectueux de la santé et de l'environnement.